$ Cuit sur le vif – Florence Duquesne

On ferme les yeux des défunts à l’instant où ils s’éteignent, comme les étoiles meurent d’avoir trop scintillé ; on oublie de leur refermer la mâchoire et les dents de l’ombre mordent les vivants au cœur de l’angoisse.

Cuit sur le vif - Florence Duquesne

 

TITRE : Cuit sur le vif

AUTEUR : Florence Duquesne

ÉDITION : Auto-édité

Prix : 2,99€ (en eBook) ou 6,41€ (en broché)

NOTE : 18/20

 

RÉSUMÉ :

L’agonie du vieil homme dans sa chambre d’hôpital est doublée d’un voyage vers l’apaisement à bord d’un train imaginaire. Plaidoyer poétique pour le droit de mourir dans la dignité, ce livre s’acharne à maintenir les souvenirs vivants.

À la mort de son père Florence Duquesne tente de reconstruite l’image qu’elle garde de lui, mai la souffrance inutile du vieil homme s’interpose entre elle et sa mémoire. Elle réécrit alors ses derniers instants pour donner une seconde chance aux souvenirs d’avant l’agonie

Préface de Jean-Luc Romero Président de l’Association pour le Droit de mourir dans la Dignité.

Pauvre père, pauvre mère tombés entre les griffes de l’a priori, du jugement, de la démence des bourreaux et de la souffrance ! Au nom de Dieu. De quel dieu ? Les monstres affublent les dieux de leur propre fureur, les anges les parent d’altruisme et de décence.

 

MON AVIS :

Je remercie grandement l’auteure de m’avoir envoyé ce SP en format papier, mes yeux en sont reconnaissants, eux qui ne lisent plus qu’en numérique depuis un certain temps.

Les poumons se sont ouverts sur le jour teinté du gris des rideaux tirés, biffure sur la parenthèse religieuse, sur l’intrusion morbide, sur l’anachronisme, l’obscurantisme, l’acharnement thérapeutique, la négation du droit à la mort, le non-respect de la personne humaine et de sa dignité.

Ce livre m’a totalement retournée. La révolte sourde et l’empathie exacerbée qu’il a fait naître en moi m’ont par moment rendue la vie dure. Je pensais le lire en une fois, d’un coup, comme on ‘dévore’ un roman, une fiction et parfois un témoignage, lorsqu’on devient à la fois témoin et acteur de la vie d’un autre, et que les scènes se dessinent sous nos yeux ébahis, parfois humides de larmes, qui glissent sur les mots pour en sentir la force et le pouvoir.

Malheureusement, heureusement je ne sais pas encore, je n’ai pas pu. Parce que le texte est trop puissant, que l’histoire est trop réelle, qu’elle me parle bien trop, bien trop d’actualité, de mon actualité, de ma vie triste un des faits divers dont personne ne veut parler. Parce que derrière ces mots qui sont pleins de sens, de vérité, d’émotions et de rancœur, profondément ancrée, il y a des hommes, des femmes et la souffrance, toujours, sous divers costumes, et divers masques pour jouer un rôle et prendre une forme différente.

Au moment où le père allait disparaître, au moment où ses ancêtres allaient en éteindre la bougie de leur sagesse, au moment où la fille allait le porter jusqu’à son train de rêves ouatés, au moment où elle allait lui raconter l’histoire qui l’endormirait, se dressait l’implacable serment, guérir, guérir, tenter de guérir à tout prix, même de la mort dont la nature avait choisi l’instant et dont la médecine décidait l’ajournement.

Je vous l’ai dit, derrière, devant, à travers ces mots, ces phrases, ces lettres qui noircissent les pages blanches, il y a toute une palette d’émotions, sensations qui s’accrochent à vous sitôt que vous les apercevez. Et elles ne vous lâchent plus, se faisant parfois discrètes, jusqu’à l’oubli, pour revenir en force et en puissance se rappeler à vous.

La rage, froide et bouillonnante, sourde d’incompréhension et de compassion, d’empathie et de souffrances. La rage contre le temps qui fait son œuvre ? Peut-être, oui, parfois, quand l’après survient et qu’il faut recommencer à vivre comme avant, mais avec un élément manquant. Un après réel ou rêvé, fantasmé. Un après où la reconstruction passe par le souvenir, et par l’entretien de ce souvenir. Où la reconstruction, le renouveau nait des cendres de celui qui n’est plus.

Rage folle, éprouvée, éprouvante. Rage viscérale, mais contre quoi ? Contre l’absurdité quotidienne. Face à l’absurdité d’une bienséance dictée par 2000 ans d’éducation religieuse, dans une société où la science et les souffrants peinent à se faire entendre. Face au sadisme (in)conscient d’un personnel médical d’un autre temps à une époque où l’homme qui à souffert de sa vie ne devrait plus devoir souffrir sa mort. Face à la violence aberrante et terrifiante d’un monde dans lequel un homme qui prêche blanc va s’acharner à faire noir. Dans lequel des hommes et femmes, qui de par leurs métiers doivent soulager, s’acharnent à maintenir dans une douleur inutile et inhumaine, indécente, une âme emprisonnée d’un corps qu’elle devait quitter depuis bien longtemps, un corps qui échappe à la mort contre son gré.

On avait le pouvoir à s’acharner sur un corps jusqu’à le rendre objet mais on n’avait pas vocation à le délivrer pour lui rendre son humanité.

Dans ce livre poignant, il y a deux deuils à faire. Faire le deuil, deux fois. Une première fois, celui du corps à l’hôpital. Celui que l’on voit mourir, périr, pourrir dans une douleur indécente. Puis celui de l’âme qui enfin se libère. Celui de l’homme qui enfin quitte la terre, et jugera de lui-même ses bourreaux, aveugles de bonnes intentions dans la limite d’une morale immorale bâillonnée par l’obscurantisme religieux dont elle est héritée.

Barbarie du dictat de l’acharnement : on te prolongera, on t’empêchera de partir, on t’arrachera aux crocs de la mort pour que tu profites davantage de ta souffrance jusqu’au bout de ta putain de vie ; tu saigneras sur le gril, strié de fers rouges et de déchirures internes, d’œdèmes, d’escarres, de métastases et de ganglions qui danseront dans la cage de ton corps sur les aiguilles de ta douleur à vif, à même le matelas.

C’est un livre coup de poing. Un de ceux qu’on apprécie par la forme non pour le fond. Un de ceux que je trouve déplacé de noté, car on n’évalue pas la souffrance de l’autre. Un de ceux qui fait réfléchir, par ce que l’empathie est trop grande, la souffrance trop profonde, qu’elle transperce les mots, les pages pour venir se loger en plein cœur ; s’insinuer en vous par tous les pores de votre peau, et couler dans vos veines. Vous êtes la souffrance écrite. Et ça fait mal. Et on demande, on enrage, on hurle la compréhension, le raisonnement, le retour un bon sens nécessaire, mais compliqué, qui enfin soulagera les souffrants de leur dernier voyage.

Elle s’est trompée. Ils l’ont prolongé sans le soulager. Ils l’ont regonfler pour le torturer. Il allait s’éteindre, ils lui ont rendu la souffrance à coups de perfusions et de réhydratation. Il a remarché, il s’est relevé pour assister à sa déchéance et son humiliation. Ils lui ont rendu la capacité de souffrir alors qu’il allait sombrer dans le coma sans râle, dans l’amnésie de son être.

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